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Destination Groenland - Partie 1

Au bout d'un rêve

Groenland. Rien que le nom me faisait rêver. Il renvoie directement au monde polaire, de la glace, du bleu et du blanc sans fin, de la banquise et des phoques, des inuits et des baleines.

Alors, en m'installant en Islande et en me rapprochant nettement de la destination, l'occasion n'avait jamais été aussi belle de m'y rendre. Un vol de trois heures seulement distance les deux îles. Mieux, ce sont 287 petits kilomètres qui séparent la côte est de l'ogre danois du petit poucet islandais. Oui, le premier peut recouvrir 20 fois le second, c'est dire l'immensité blanche qui flotte entre l'Europe et l'Amérique.

Pour ce premier voyage, et après une longue hésitation, c'est la côte ouest qui remporte ma préférence. Ilulissat était un immanquable: lovée au bord de la baie de Disko, c'est ici que l'on observe les plus gros icebergs de l'hémisphère nord. A 350km au nord du Cerle polaire, la 3ème ville du pays permet -en hiver - l'observation des aurores boréales et les longues balades en traineau à chiens ou en motoneige.

 

Je m'en irai dormir dans le paradis blanc

Pourtant, il me manquait un petit quelque chose pour que ce voyage abreuve les fantasmes que je nourrissais au regard de la destination depuis de très nombreuses années. Quand on regarde une image satellite de l'île, on remarque tout de suite le blanc immaculé  qui recouvre la grande majorité du territoire, 81% pour être précis. D'ailleurs, on note aussi que celle ci a bien tendance à diminuer...(photo satellite en haut prise en 2005 seulement...)

Il y avait de quoi faire rêver les Charcot, Victor, Rasmussen et compagnie, lorsqu'ils entreprirent leurs explorations vers l'intérieur des terres. Alors j'avais envie, moi aussi, d'aller découvrir cet endroit mystérieux, sauvage, froid et préservé. Bien sûr, à mon échelle, et sans m'appeler Jean-Baptiste, Paul-Emile ou Knud. Mais au moins, d'avoir un apercu de ce qu'on appelle ici l'Inlandsis,  cette calotte glaciaire qui représente la deuxième plus grande masse de glace (eau douce) sur Terre, après l'Antarctique. Il y a un endroit au Groenland d'où il est possible de partir pour une exploration courte de cette immensité blanche: Kangerlussuaq, au sud de Ilulissat. Ni une ni deux, je contacte les prestataires avec lesquels nous travaillons (car nous vendons aussi le Groenland) et je planifie 3 jours dans la région.

Entre chiens de traineau, aurores, navigation glaciaire, motoneige et nuit en campement sur la calotte, mes yeux s'ouvrent grand en ce samedi 18 mars, prêts à se perdre dans les confins du Grand Nord.

Tikilluarit !!


Jour 1

Après le survol d'un désert de glace, j'atteris dans le brouillard d' Ilulissat où je suis attendu par le manager d'une agence d'excursions, de nationalité italienne ! 5mn après la descente d'avion, pas plus pour récupérer mon bagage sur le petit tapis roulant de l'unique hall de l'aéroport, et me voici conduit à ma guesthouse, passant par le centre de la petite ville de 5 000 âmes, dont les maisonnettes colorées contrastent fortement avec la neige et les nuages. Il fait froid, un froid mordant qui ne vous lâche pas. Un bon -20°, et l'heure de sortir les grosses laines. Arrivé chez mon hôte groenlandaise, une dame au regard doux et bienveillant, je fais connaissance et m'installe dans la petite chambre qui m'est réservée. Simple, propre, moderne. Mais c'est surtout le salon qui fait une touche: lumineux, spacieux, ceintré de grandes vitres donnant sur un panorama magnifique: la Baie de Disko.

 

Ni une ni deux, je file me balader le long de la côte en direction de Sermermiut, ancien village de pêcheurs du temps de la colonisation, dont il ne reste rien, si ce n'est les traces des fondations tournées vers les cathédrales de glace qui me font maintenant face.

La randonnée part derrière la ville et longe la côte en prenant un peu de hauteur -tout ce que j'aime-. La neige recouvre le balisage, mais des tas de pierre, dont la plus haute est peinte en jaune, aide à se repérer lorsqu'eux mêmes ne sont pas ensevelis. Pas le moindre visiteur, je suis seul dans cette immensité, face à ces géants de glace, emmitouflés sous trois couches de capuches, bonnet et tour de cou. Le froid commence déjà à geler la fourure de ma capuche, ainsi que ma barbe de 7 jours. Pas question de retirer un gant pour prendre une photo. Tout reste au chaud. D'ailleurs, la GoPro n'a déjà pas résisté à la température, et la batterie est à plat.

Alors que je focalisais mon objectif en direction d'une fissure qui fendait toute la hauteur d'un iceberg, un bruit de tonnerre me fit détourner mon attention vers un autre glacier sur ma gauche. Ce dernier était en train de vêler: une énorme fracture laissait s'effondrait dans la mer tout un pan de glace, dans un fracas détonnant: une longue et haute vague se forma sur plusieurs dizaines de mètres, avant de s'étouffer dans la robe de glace du voisin.

Le voyage démarre sur de bonnes bases, malgré une météo capricieuse. Le silence est le maître de ces lieux. Se poser sur la pierre, et contempler le tableau, écouter ce silence et respirer le froid. Seul le clapoti de la glace qui se remue à la surface de l'eau trahit la quiétude totale du décor.

En revenant vers la ville, je suis accueilli par les aboiements des chiens de traineau: tous les chenils sont regroupés à un même endroit, et si la plupart sont attachés, certains jeunes viennent timidement me rencontrer.

L'histoire de la rencontre avec cette dame (à droite) pourrait être un raccourci raconté par nombre de mauvaises langues carburant au cliché et tombant dans le mépris en dressant le portrait de la population Inuit. J'étais en train de photographier une maison teintée d'un violet profond, quand m'est apparue cette dame habitant la maison d'à côté, me demandant de la prendre en photo en mimant tant bien que mal l'appareil face à son visage. Elle prît la pause, dans un éclat de rire forcé, avant de se rapprocher de moi en laissant trainer une haleine pestilentielle d'alcool fort. Visiblement, elle rentrait d'une réunion arrosée, et il n'était que 19h tout au plus. Mais le week-end, il est d'usage pour les groenlandais de sortir faire la fête, et de ne pas être trop regardant sur la dose d'alcool ingérée.

Le problème d'alcoolisme est un sujet bien trop complexe, soulevant des questions d'histoire, de sociologie, de géographie, et touchant une population Arctique bien plus large que celle des Groenlandais, pour l'aborder ici.


"Ne juge personne avant de te mettre à sa place."


Jour 2

Le temps ne s'est pas arrangé ce matin. Mais un délicieux petit déjeuner m'attend, en compagnie de mon couple d'hôte, dans leur beau salon face aux icebergs. Je profite de l'occasion pour discuter avec eux et apprendre ce qu'ils ont à m'enseigner sur les coutumes locales,  la vie au Groenland, leur relation avec le Danemark, leur vision sur l'indépendance, le tourisme, l'européen, le matérialisme...autant de notions que j'essaye d'aborder sans offense, avec une vraie soif de connaissance, sans pour autant paraître intrusif ou indélicat. Mais je crois qu'il ne l'ont pas pensé. Ce moment fut vraiment agréable et riche en échange.

Pour la suite du programme, excursion en chiens de traineau, par une température assez basse...surtout quand il s'agit d'attendre le musher dans le froid, pendant 45mn, retard dû à une veillée un peu tardive hier au soir...

Lui, c'était mon chien préféré. C'était l'électron libre qui guidait et motivait l'attelage

Plusieurs attelages se suivaient. Chacun transportant un musher et un visiteur, le plus souvent vêtu d'un ensemble en peau de phoque, ultra résistant au froid, que je regretterai de ne pas avoir loué. Sur ces immensités blanches que l'horizon mêle aux nuages, les chiens se surpassent, peinant sur les hauteurs et se lançant à grande vitesse sur les descentes enneigées. Mon musher ne parle pas anglais, comme la plupart de ses confrères. Il se retourne parfois sur le traineau, pour me lancer un grand sourire laissant apparaître un manque certain de bon nombre de dents. Ôtant ses mitaines gelées, il s'allume une clope qu'il ronge du bout des lèvres avant de jeter son mégot sur les traces fraîches que ses chiens abandonnent sur leur passage. Mon esprit de blanc européen me lance une pensée écolo offusquée, avant que la raison ne me ramène à ce proverbe: "ne juge personne avant de te mettre à sa place". Grand débat intérieur.

Bientôt, les attelages font une pause, au milieu de nulle part, aux confins de cet infini blanc vallonné. Un thé inuit nous est servi, accompagné de biscuits secs servis sur une peau de renne étendue sur l'un des traineaux. Ici, je rencontre un couple de danois, professionnels du tourisme, et l'on se retrouve à discuter de safaris africains et de tribus du Kenya, tandis que nos doigts se réchauffent progressivement au contact de notre tasse chaude... Contraste saisissant d'une seule et même planète...

L'heure du retour a sonné, et les chiens, après s'être roulés dans la neige, reprennent du poil de la bête pour nous ramener au chenil d'Ilulissat.

Les mushers sont souvent vêtus d'un pantalon en poil...de chien !

De retour ce l'excursion, je suis frigorifié. Il me faudra une douche très chaude et 2 petites heures sous une couette et plusieurs couches de polaires pour me remettre sur patte et pouvoir resortir dans le froid cinglant de la nuit hivernale. L'ambiance d'un dimanche soir est comparable à celle d'un village fantôme. Les lampadaires éclairent timidement les quelques avenues enneigées et le ballet des taxis et motoneiges est beaucoup moins prononcé qu'en journée. 

Je trouve refuge au café Hong Kong, l'un des seuls restaurants ouverts, et me régale d'un plat thailandais, dont les groenlandais ont l'air friands.