Si l'Asie du sud-est apparaît comme une seule entité géographique, sous le nom d'Indochine, chaque pays dévoile aujourd'hui une culture singulière. 

Myanmar.

Pour ouvrir le chapitre de l'Asie du Sud Est, quoi de plus beau que de démarrer par le Myanmar -ex Birmanie- dont la récente ouverture au tourisme permet de dévoiler ses merveilles culturelles uniques fondues dans un décor naturel de toute beauté. Et comment ne pas être charmé par cette population d'une gentillesse pure et simple, dont la chaleur de l'accueil se ressent depuis le premier contact abordé avec humilité et élégance. De Bagan et ses deux milles temples au lac Inle et ses villages flottants, nous voyagons hors du temps. Le dépaysement est notre plus fidèle compagnon. Voilà l'exemple d'un pays que j'ai trop vite survolé pour ne rapporter que de beaux souvenirs impérissables qui classent le pays en tête de mes destinations à revivre en priorité.

 

C'est alors que je m'embarquais en solo pour une randonnée d'une journée, sur les hauteurs du célèbre lac Inle. Je laissais attaché mon vélo auprès d'une petite gargotte faite de bric et de broc, et je pénétrais sur un chemin tracé à travers les hautes herbes. Au premier carrefour, sursaut: je tombe nez à nez avec un énorme porc, couché sur le flanc et dont les 4 pattes étaient liées et attachées à une tige de bois. La pauvre bête grognait en tentant de se libérer, pendant que, quelques mètres plus loin, de joyeux paysans partagaient un reste de riz qu'ils dévoraient à pleins doigts assis dans la terre. Surpris par la scène que seul mon esprit trouvait insolite, je fus alors invité à prendre part au goûter de ses braves gens dont les sourires laissaient apparaître une dentition dévastée, et dont le coeur dévoilait la plus sincère invitation au partage.

Bêtement enfermé dans mon carcan de moeurs occidentales, je déclinai l'invitation avec un sourire gêné et passai mon chemin, en figeant pour longtemps dans mon esprit cette rencontre surréaliste.


Thaïlande.

Bien souvent, la Thaïlande est évoquée comme étant la porte d'entrée principale de l'Asie du Sud Est. Il est vrai que Bangkok est plus facilement accessible que Rangoon ou Vientiane, mais le revers de la pièce n'est pas négligeable: le pays draine un tourisme bien plus développé que ses voisins, ce qui a tendance à dénaturer une bonne partie de ses sites. Lors de mon tour d'Asie, j'ai donc choisi de le laisser de côté afin de privilégier les régions plus sauvages du Laos, du Cambodge et du Vietnam.

Je me suis tout de même arrêté quelques temps dans la capitale qui, je dois dire, offre un dépaysement et un confort de vie agréable. Bangkok est une ville qui demande du temps d'adaptation, car elle se montre brutale aux premiers abords; mais elle s'adoucit à mesure que l'on se met à son rythme et qu'on en découvre ses secrets, restés invisibles aux yeux des touristes de passage.

 

C'est alors que le silence de la jungle se tut pour laisser place au spectacle insolite de l'envol des chauve-souris. Comme chaque soir dans le parc de Khao Yai, avec une ponctualité étonnante, un serpent noir s'envole dans le ciel en ondulant au rythme des leaders de troupe. Ce sont deux millions de chauve-souris qui quittent leur grotte pour aller chasser. Notre guide nous mène en plein champs, au pied de la colline où se situe  leur cachette. La lune fait son apparition, la jungle se transforme en royaume de la nuit. Pendant plus de quinze minutes, le ciel vrombit sous les dernières lueurs bleutées, avant que le silence ne vienne à nouveau maîtriser les lieux.


Laos.

Coup de coeur pour ce petit pays d'Indochine blotti entre la Thaïlande, le Cambodge, le Vietnam et la Chine. Un véritable havre de paix, loin du tourisme de masse, qui sait préserver ses atouts en jouant la carte de l'authenticité. Ici, pas de gros panneaux routiers, pas de grosses chaînes hôtelières, pas de folklore conçu pour attirer le profit. L'ancienne colonisation française laisse encore quelques traces culturelles dans les noms des établissements publics, hôpitaux, écoles et rues. Parfois même, il est possible d'entendre l'écho de quelques mots français soufflé par les anciennes générations. De Luang Prabang et ses maisons coloniales à Vang Vieng et ses montagnes en pain de sucre, il fait bon flâner à travers les rues calmes ou les chemins de terre qui forment les meilleurs scènes pour voir vivre le pays. L'aumône des jeunes moines dans la brume du matin, les villages en bambou dans les montagnes voisines, les cornacs traversant la rivières sur leurs éléphants... nul ne peut se lasser de ces tableaux de vie qui ne mentent pas et s'affirment comme une véritable leçon d'humilité. Au Laos, les sentiers ne sont pas tracés. Au visiteur de les débusquer, il découvrira alors l'âme du pays.


C'est alors que j'assistai à ma première leçon de cuisine laotienne, dans un petit village de bambou perdu au milieu des montagnes couvertes de forêts tropicales. Ici, la tribu des Hmongs nous accueillait. Alors que la nuit commençait à tomber et que la fumée s'élevait haut dans le ciel, nous étions assis autour du feu et regardions les anciens du village préparer le repas du soir: une soupe aux scarabées rhinocéros. Avec une dextérité sans précédent, les insectes morts se faisaient dépecer tour à tour avant de terminer au fond de la marmite bouillonnante. Les mains de notre hôte, façonnées par les épreuves du passé, se posaient dessus sans qu'aucune douleur ne la fit hésiter. Ce soir, la barrière de la langue n'était plus un problème. Le language universel des signes prenait vie et les sourires remplaçaient les silences embarrassants. La simplicité du moment baigné par une douceur apaisante nous ouvrait les portes du partage.


Vietnam.

Du delta du Mékong, à l'extrême sud du pays, aux rizières de Sapa dans le nord, le Vietnam s'effile sur la côte est de l'Indochine comme le dragon qu'il tient pour symbole. D'ailleurs, on distingue assez nettement deux ambiances différentes: plutôt rugueux à proximité de la frontière Chinoise, le contact devient plus facile à mesure que l'on rejoint le delta et ses authentiques marchés flottants. Ce qui n'empêche pas de vivre des expériences inoubliables dans les villages du nord, habités par les tribus Hmongs et Khmongs, qui offrent de magnifiques randonnées à travers les paysages de rizières plongés dans la brume. La baie d' Along, elle, bien que de plus en plus dénaturée par les arrivées massives de touristes, reste un endroit mystique dont on peut percer le mystère en naviguant à bord d'une jonque au milieu des centaines de pains de sucre qui surgissent majestueusement de l'eau.

Au sud, le Mékong permet de s'immerger véritablement dans la culture vietnamienne en devenant spectacteur de scènes insolites à nos yeux. Les échanges de fruits et légumes depuis les embarcations, les petites marchands déambulant dans les étroites ruelles, les maisonnées constuites sur piloti au bord du fleuve, et qui donnent l'impression de s'écrouler à chaque minute, les cochons se mêlant à la circulation... Bref, un tout autre visage se dévoile ici, très complémentaire à celui du nord par sa culture relativement différente et sa géographie davantage plate et fluviale que montagneuse.

 

C'est alors que nous retrouvions notre groupe de randonneurs dans le hall de l'hôtel, attendu à l'extérieur par une horde de femmes des tribus locales dont les vêtements traditionnels colorés contrastaient avec des bottes en caoutchouc. Sapa est l'un des points de départ principaux pour aller visiter les villages habités par les Hmong et les Zai et entourés par les rizières en terrasse. Le tourisme est l'occasion pour ces tribus de développer leur commerce d'artisanat. Nous eûmes ainsi droit, pendant toute la randonnée, à une escorte privée de dames accompagnées parfois de leur bébé qu'elles blottissaient dans leur dos à l'aide d'un grand tissu rouge. Leur gentillesse et leur sourire étaient certes une force de vente mais le contact devint plus sincère suite à la scène cocasse que nous a offert l'un des randonneurs, sans doute très mal chaussé pour l'occasion -il avait plu beaucoup et les chemins de terre devenaient boueux et glissants. En effet, ce dernier, dans un élan de cascadeur, chuta lourdement dans la boue, et répéta son geste par deux fois aussitôt qu'il parvint à se remettre sur pied. Ce spectacle -ô combien comique pour nous- ne manqua pas non plus de provoquer un fou rire chez nos nouvelles amies, ce qui permit instantanément de créer un type de contact plus intime, sans arrière pensée, dont nous nous rappellerons longtemps.


Cambodge.

Le pays des Khmers se fait sa place parmi les destinations les plus visitées d'Asie du sud-est. C'est sûr, avec un site comme Angkor, ça aide. Mais certaines de ses îles et de ses plages deviennent aussi très bien cotées auprès des vacanciers en mal d'isolement. C'est vrai que l'on peut vite se prendre pour Robinson quand on se rend sur ces littoraux désertés, mais il faut pousser la porte un peu plus loin que Sihanoukville au risque que Robinson ne soit noyé dans la foule. Car ici, la côte est en plein boom et les constructions de bungalows et d'hôtels se multiplient. Heureusement, de ce que j'ai vu, les investisseurs délaissent les gros resorts et privilégient davantage les petits bungalows de charme. De plus, les forêts au nord de la côte offrent de belles possibilités de trek sur plusieurs jours, et là, on est sûr d'être seuls au monde.

Et que dire d'Angkor, l'un des sites archéologiques les plus merveilleux au monde. Notre imagination est constamment mise à l'épreuve devant les vestiges engloutis par la jungle, mais les travaux colossaux de restauration et de fouilles ont permis un résultat prodigieux, et malgré l'affluence sans répit, la superficie surprenante du site permet au visiteur de s'octroyer quelques moments de solitude et de communion avec l'esprit d'Angkor. Mystique.

 

C'est alors que dans la fraîcheur de l'aurore, la lumière s'apprêtait à dévoiler l'un des sites les plus emblématiques du continent. Postés derrière le plan d'eau qui reflétait parfaitement les contours du temple d'Angkor, nous attendions que le soleil nous ouvre les portes d'un monde archéologique fantastique, que seul le silence de la jungle arrivait à maîtriser. Lentement, le ciel se teintait d'or. Lentement, les corps se réchauffaient et la brume s'en allait loin vers l'horizon.