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Spitzberg, au pays de l'or blanc - 2/3

Ça y est. Un matin, elle est là. Nous la touchons, nous l'embrassons. La banquise s'en va jusqu'à l'horizon, et nous tentons de l'accompagner. Tout est blanc, tout est bleu, selon l'humeur de la lumière. Les immenses plaques de glace s'enlèvent sous le tonnerre du navire. Elles craquent, elles se retournent, elles tremblent. Mais les marins aussi peuvent trembler devant cet environnement. Combien d'explorateurs sont tombés dans le piège et ont dû hiverner en attendant la débacle? 

Aujourd'hui, nous sommes les explorateurs. Plus équipés, plus informés, certes. Mais nous nous aventurons dans un infini, histoire de découvrir, d'explorer.


Que fait-on sur la glace ?

Vous vous demandez peut-être comment se passe un débarquement sur la banquise, et ce qu'il est possible de faire une fois que l'on y est. Et bien en fait c'est assez simple. D'abord, il faut s'assurer de la solidité de cette banquise. On l'estime par son épaisseur (pour rappel, la partie immergée de la glace est environ 9 fois plus importante que sa partie émergée), mais aussi par sa régularité (si elle est "lisse"). On ancre ensuite le gros bateau à quelques centaines de mètres de la banquise, puis le chef d'expédition part en zodiac se porter cobaye et tester la solidité de la glace (photo ci-contre). S'il donne le feu vert, on fait débarquer nos passagers en zodiac, pour aller "beacher" sur la banquise. Contrairement à ce que l'on croit, en confondant banquise et glacier, la rive de la banquise n'est pas haute. À certains endroits, elle se présente même comme une plage et ce sont ces endroits que l'on vise en zodiac pour aller se caler.  Évidemment, on reste toujours aux aguets au cas où un ours rôde...

Une fois sur la glace, on délimite un périmètre de sécurité en dehors du quel on ne garantit pas qu'il n'y ait aucun risque de baignade, et à partir de là, on s'amuse ! on sert un chocolat chaud et on s'imprègne de l'air frais qui règne par 83° de latitude, avec, au nord, aucun autre horizon que celui qui se confond dans la glace...

Petit moment privilégié pour une séance photo des passagers puis de l'équipe d'expédition dont je suis fier de faire maintenant partie.



Les gros phoques barbus sont souvent dans les parages, affalés sur de grandes plaques de glace, souvent en bordure afin de plonger rapidement en cas d'attaque d'ours.

L'ours non plus n'est jamais très loin. On peut passer tout proche d'un rivage sans le voir; il a beau être imposant, il sait se cacher. Un matin, nous en avons suivi un assez longtemps dans ses activités, toujours avec une distance suffisante pour ne pas le gêner. Après une petite sieste sur la pointe d'une plage de cailloux, il s'en est allé nager pour rejoindre un îlot et se régaler d'oeufs de goélands. Mais ces derniers ne se sont pas laissés faire, les sternes non plus d'ailleurs: l'ours s'est vu chasser par les volatiles. Il est donc allé continuer sa brasse plus loin.


Alkefjellet et ses milliers de guillemots

Située dans le détroit Hinlopen qui sépare l’ile du Spitsberg et celle de Nordaustlandet, se trouve la gigantesque falaise de Alkefjellet qui signifie en norvégien « falaise à oiseaux ». Cet endroit porte bien son nom puisqu'ici nichent environ 100 000 guillemots de Brünnich. Cet oiseau appartenant à la famille des alcidés (pingouins), mesure une quarantaine de centimètres de long pour un poids compris entre 700 et 1200 g. Il est observable entre 46° et 82° nord, et niche au Groenland, en Islande, dans l’archipel François Joseph, en Nouvelle-Zemble, à Jan Mayen et bien évidemment au Svalbard. C’est sur cette corniche que la femelle pond son unique œuf en forme de poire, cette forme évite ainsi à l’œuf de rouler et de tomber de la falaise. La ponte intervient fin mai début juin, et l’éclosion a d’une manière générale lieu 30 jours plus tard. A l’âge de 20 jours, le poussin qui ne sait pas encore voler, se jette de son nid pour atterrir dans l’eau, et entamer ainsi à la nage accompagné par son père, une migration vers les quartiers d’hiver (Groenland et Islande). Il arrive régulièrement que le saut soit raté, et les renards sont nombreux à venir récupérer les cadavres...

Et, sur un iceberg, nous tombons sur une scène digne de l'Antarctique: un guillemot s'est posé sur le rebord d'un iceberg, et imite son cousin manchot pas mal du tout...

Nous longeons la falaise à bord de nos zodiacs, sous une cohue magistrale orchestrée par les guillemots et les goélands. Ces derniers se positionnent juste au-dessus des guillemots et attendent que les adultes s'envolent pour s'attaquer aux jeunes ou aux oeufs...

Outre les goélands, les guillemots ont un prédateur terrestre, qui attend presque gueule ouverte la chute d'un poussin ou la libération d'un oeuf. Le renard polaire, blanc en hiver mais gris bleuté ou marronâtre en été, rôde au pied des falaises..


Pour clôturer de la plus belle des manières une journée de croisière d'expédition, rien de mieux que l'apparition dans nos jumelles d'une grosse tâche un peu plus jaunâtre que la banquise, qui grossit à mesure que le bateau se rapproche, et qui va nous offrir un spectacle merveilleux dans un silence de glace imprenable.


Pour terminer ce voyage par la sortie en zodiac sur le site extraordinaire de Negribreen (immense front de glace, champs d'icebergs et apparition magique d'un énième plantigrade...) et par quelques autres rencontres animalières, c'est par ici.