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Alaska, le passage des baleines - 1/3


Quelques repères historiques...

Quand on repère mentalement l'Alaska -si tant est qu'on y arrive-, on visualise cette grosse péninsule terminant l'extrême nord-ouest de l'Amérique du nord, bordée par le détroit de Béring qui sépare les continents asiatique et américain. Ce détroit a été découvert et nommé par Vitus Béring, explorateur russe, lors d'une expédition dans les années 1720: il pouvait alors affirmer que les deux continents étaient séparés par la mer. Les Russes se sont empressés d'y envoyer d'autres explorateurs pour coloniser les premières terres maritimes alaskanes en vue: les Aléoutes.

Après un long siècle de colonisation, pendant laquelle l' Alaska se nommait "l'Amérique russe", de batailles avec les populations autochtones déjà présentes (notamment les Tlingit), d'installations de comptoirs de traites (on décimait alors la population de loutres de mer, on chassait la baleine et le caribou) et de négociations avec les américains, le territoire fut racheté en 1867 par les ancêtres de Donald. 

On connaît un peu mieux l'actualité alaskane "contemporaine". De la ruée vers l'or du Klondike (les champs aurifères étaient côté canadien, mais on devait passer par l'Alaska de Skagway pour s'y rendre) jusqu'à l'épopée tragique de Christopher Mc Candless (Into the Wild) au beau milieu de Denali, en passant par la nouvelle loi votée par le régime Trump autorisant l'abattage des ours et loups ou la découverte d'un nouvel or noir avec les gisements sans fond de pétrole autour de Prudhoe Bay, l'Alaska n'est pas toujours représentée sous ses meilleures couleurs.

Et pourtant, elle ne cesse d'attirer les voyageurs en quête d'aventure. 

Partons nous aussi y découvrir sa richesse faunique, ses paysages spectaculaires bercés par un automne doux et ensoleillé.


Bon, donc me voici arrivé dans le South East Alaska, surnommée la "Panhandle", soit la "queue de poêle" (cf carte ci-dessus). Cette région appartient bien à l'Alaska, mais est encastrée entre le Pacifique et le Canada (Yukon au nord, Colombie Britannique à l'est et au sud) sur une longue bande de terres très découpées en myriades d'îles peuplées d'ours bruns. Nous allons, en croisière, faire le tour de l'une d'elles, Admiralty Island, connue pour abriter la plus grosse densité mondiale de ces carnivores. 

Mais avant d'embarquer, petit survol en hydravion pour atteindre le Taku lodge et se balader dans ces forêts humides ...


Allez c'est parti, nous embarquons sur notre bateau, l'Island Spirit, Hélène sera ma binôme guide, et démarrons notre navigation par le nord d'Amiralty Island. Dès le lendemain, nous croisons nos premiers mammifères marins: orques, otaries et baleines à bosse. Au niveau météo, notre première journée sera la seule couverte. Le ciel bleu apparaîtra dès cette fin d'après-midi pour ne jamais plus nous quitter...

 

Pour commenter cette superbe croisière Grands Espaces, rien de tel que des extraits de carnet de bord écrit sur place...

Nos premiers ours...

Durant la fin de notre traversée, nous avons continué à observer de nombreuses baleines à bosse dont une nous a fait le cadeau d’un beau spectacle en claquant l’eau avec sa pectorale pendant plusieurs minutes. Ce soir là, nous arrivons dans la magnifique baie de Pavlov Harbour vers 17h.

À cette heure-ci durant l’happy hour, nous observons depuis le bateau de nombreux phoques communs.
Après le dîner, Augustin a repéré aux jumelles
un ours brun proche de la cascade. Très rapidement, le bateau est mis à l’eau pour s’en approcher. Un mâle était présent, il pêchait le saumon qui remonte frayer dans les rivières. À plusieurs reprises, celui-ci se saisissait d’un poisson et s’en délectait. 

 

Réveil matinal dans la baie de Pavlov. À 6h, Augustin et Hélène repèrent à nouveau 2 ours bruns proches de la cascade. Après une annonce à tous les passagers de l’Island Spirit, le zodiac est rapidement mis à l’eau et nous partons observer ces deux ours bien trop occupés à pêcher devant la cascade pour s’occuper de nous.

Le spectacle est grandiose, nous restons un long moment à observer ces deux jeunes ours bruns occupés à attraper les saumons qui remontent la rivière. 



Tenakee Springs

 

Après ces magnifiques observations et un bon petit déjeuner, le bateau lève l'ancre pour mettre le cap vers Tenakee Springs. C’est un petit village reculé à l’entrée du fjord de Tenakee. Ce village était anciennement habité par un peuple de natifs, les Tlingits. Une centaine d’habitants y vit encore à l’année. Nous avons eu le privilège d’y accoster et de le visiter, ce que seul l’Island Spirit est autorisé à faire grâce aux bonnes relations que le capitaine entretient avec quelques familles du village. Nous avons fait le tour du village, pris des photos de maisons typiques et originales. Nous avons également eu le privilège de visiter le tout petit musée, refuge d’histoire et d’objets d’époque. 

 

Nous continuons cette après-midi ensoleillée et très agréable par une balade dans la forêt primaire, accompagnés de 2 guides du bateau, Rob et Mandy. Nous avons marché pendant environ 1h30, entourés d’immenses épicéas plusieurs fois centenaires. Les 2 guides américains nous apportaient des informations sur la faune et la flore locale, traduites au fur et à mesure par Augustin. 

 

Le retour sur le bateau a été effectué vers 15H30, puis nous avons appareillé destination la baie de Sitkoh.
À 16h30, Hélène donne une conférence sur les orques, espèce emblématique de l’Alaska qui concentre plusieurs groupes possédant des niches écologiques différentes. Ceux que nous avons observé la veille faisaient partie de la population dite côtière qui se nourrit quasiment intégralement des saumons qui remontent les cours d’eau à cette période de l’année.

Nous faisons encore quelques observations de marsouins communs lors de la navigation puis l’équipe de guides propose un documentaire sur les baleines de l’Alaska. Nuit dans la paisible baie de Sitkoh 


Kayak dans la baie de Takatz


Frederick Sound : le couloir des baleines

Nous nous réveillons dans la baie de Takatz et comme à l’accoutumée nous dégustons un petit déjeuner continental de 6 à 7h pour les plus matinaux. Le bateau appareille à 8h, navigation en direction de la pointe sud d’Admiralty Island afin d’entamer la fin de la boucle de retour vers Juneau. Après avoir navigué depuis 3 jours dans le détroit de Chatam on a pris le détroit de Frederick Sound. On a commencé à voir 2-3 loutres durant cette navigation puis des dizaines de baleines à bosse. Elles se nourrissent, on voit très bien les sillons gulaires (plis ventraux). On voit une mère et son petit de retour de migration depuis peu se nourrir ensemble, côte à côte. Les baleines sont de tous les côtés et nous ne savons plus ou donner de la tête. Nous voyons une baleine taper de la caudale puis plus loin une autre qui semble lui répondre en tapant à son tour des grands coups dans l’eau, puis une troisième... Elles semblent communiquer ensemble. Guillemots de troil, quelques marsouins de Dall...

Les observations ont été tellement extraordinaires que nous avons décidé de reculer la conférence sur les saumons donnée par Augustin à après le déjeuner. 

 

On a passé une bonne partie de l’après-midi à observer les baleines s’alimenter et nous sommes arrivés vers 15h à « Brothers island ». Nous avons fait l’excursion zodiac pour observer les otaries de Steller qui seront le sujet de la conférence du soir. Nous avons approché la colonie d'assez près pour sentir l’odeur et voir le dimorphisme sexuel important entre la femelle et le mâle. 

Et pour changer on termine la journée avec d'innombrables baleines sur fond de soleil couchant

Et plus la nuit arrive, plus le ciel se teint de mille parures...


 

Nous nous réveillons ce matin dans la baie de Whitney Island. Tout est très calme et nous entendons toujours le souffle des baleines résonner dans le silence matinal. Après un coup de jumelle vers la sortie de la baie, nous observons de grands groupes de baleines à bosse. Leurs souffles restent un moment en suspension, car la nuit a été fraîche et il fait encore froid ce matin. Nous pouvons déjà de loin voir des dizaines de souffles les uns à côté des autres, ce qui nous annonce une superbe matinée d’observation. Chuck, le capitaine du bateau décide d’avancer notre départ à 7h30 afin de sortir rapidement de la baie pour profiter de belles observations.

En effet, au bout de quelques minutes, il y a tellement de baleines autour du bateau que nous ne savons plus dans quelle direction regarder. Tout le monde est sur les ponts ou en passerelle afin d’admirer le spectacle. 

 

Nous continuons notre route vers la baie d’Hobart dans laquelle nous avons prévu de réaliser nos activités de l’après-midi. Les activités se succèdent et se passent parfaitement, entre kayak et zodiac, chacun fait des observations, et profite surtout de la beauté et du calme de la nature. Quelques chanceux en kayak feront l’observation d’une martre sur les rochers et d’un tournepierre noir. À bord du bateau grâce à une très belle visibilité, Mandy nous montre également étoiles de mer et crabes que nous voyons à l’œil nu, l'eau étant d'une rare transparence. 

 

À 16h, tout le monde est revenu à bord et un goûter nous attend. Mais le spectacle reprend à l’extérieur, à peine sortis de la baie, ce sont à nouveau des dizaines de mégaptères qui soufflent, se déplacent et se nourrissent. Au loin une baleine saute en laissant apparaître près de la moitié de son corps. Elle continue le spectacle, se met sur le dos, tape des pectorales, l’une après l’autre puis les deux en même temps. Nous entendons le claquement de ses pectorales sur l’eau qui nous arrive en décalé. Les observations sont grandioses et se font encore sous un beau soleil.

 

Après avoir dîné et réalisé le petit brief organisationnel pour le lendemain, Augustin présente une conférence sur les pygargues puis Hélène sur les loutres. Nous nous endormons en espérant être réveillés par Troy dans la nuit nous annonçant la présence des aurores boréales dans le ciel. 


Qu'elles soient les esprits de nos anciens ou les arc-en-ciel de l'espace, les aurores opèrent toujours une magie de l'irréel. En les observant, nous quittons le bateau pour nous envoler avec elles au gré de leurs ondulations. Je ne me lasserai jamais d'envoyer mon âme danser avec ces beautés du ciel.


Tracy Arm

 

Ce matin, nous quittons Whitney Island et empruntons le fjord de Tracy arm. Nous avions 3h30 de navigation pour atteindre le glacier se trouvant au bout du fjord. Cette avancée entre les falaises de part et d’autre fut incroyable. Tout du long les paysages étaient extraordinaires. À 9h30, Mandy nous fit un petit topo sur les glaciers traduit par Augustin.  

Le glacier Sawyer, que nous allons voir, appartient au type de glacier côtier, c'est-à-dire qu'il se jette directement dans la mer (donc dans de l'eau salée, en l'occurence ici un fjord).

Les premiers morceaux de glace apparaissent à l'entrée du fjord

Les falaises tombent à pic, raides, dans le fjord aux eaux laiteuses

Puis le fjord prend ses premiers virages, apportant un champs de profondeur à son horizon, et une spectaculaire grandeur à son panorama s'ouvrant devant nous

 

En arrivant, nous observons sur les rochers à gauche des chèvres des montagnes puis ce furent des dizaines de phoques communs allongés passivement sur les bouts de glace détachés du glacier que l’on appelle

« bourguignons ». Nous avions environ une heure d’observation du glacier. Nous sentions la fraicheur du glacier d’un côté et en même temps la chaleur du soleil encore bien présent durant cette matinée. Ce fut une heure d’émerveillement total.

Et qui dit glacier côtier dit vêlage annoncé. Si tous les glaciers ne vêlent pas régulièrement, celui-ci a cette particularité. Spectacle au rendez-vous. Au fait, le vêlage, c'est le décrochage de morceaux de glace s'écrasant dans l'eau dans un bruit souvent fracassant, avec la création de vagues plus ou moins violentes selon la taille du morceau détaché.


Fin de la croisière

Cette journée aura sans doute été la plus belle, avec une explosion de couleurs: du bleu laiteux au bleu glace en passant par le bleu du ciel profond, du rouge de la roche ferreuse au vert de la végétation ayant trouvé miraculeusement vie... et en termes de vie animale, pas mal non plus: nombreuses baleines, encore, auxquelles se sont ajoutés phoques et chèvres de montagne.

C'était là notre dernière journée de navigation. Demain, nous serons à Juneau. Demain, nous retournerons à la civilisation, au bruit, au port où s'alignent des paquebots gigantesques déversant leurs flots de passagers-souvenirs. Allez, ne soyons pas déjà nostalgiques de ces moments privilégiés au milieu des fjords enchanteurs. Laissons-nous plutôt, une dernière fois, bercés par le rythme des aurores boréales venues encore nous faire danser dans cette nuit noire.

 


Nous nous envolons pour Anchorage pour la deuxième partie du voyage, axée d'abord sur les ours bruns (à suivre ici) puis les montagnes du Denali.