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Alaska, Katmaï, royaume de l'ours brun - 2/3


Le parc de Katmaï - petite intro Wiki

* Tout commence en 1912, par l'éruption du volcan Novarupta. Durant 3 jours, le volcan déverse de la lave en fusion, recouvrant la vallée sur près de 100 km². Durant les années qui suivirent, des milliers de gaz et fumerolles jaillirent des cendres. Le 24 septembre 1918, le Katmai National Monument était créé afin de préserver la Vallée des Dix Mille Fumées. Ce n'est qu'en 1980 que le Parc National était institué. De la fameuse vallée, il reste aujourd'hui un paysage lunaire impressionnant, entouré de montagnes, de forêts, de lacs et de rivières. Situé à environ 500 km au sud-ouest d'Anchorage, il n'est accessible que par avion ou bateau. Le parc abrite 29 espèces de mammifères, 137 espèces d'oiseaux et 24 sortes de poissons d'eau douce. Il est principalement renommé pour ses ours bruns, le parc comptant la plus grande population du monde avec près de 2200 ours. Les ours bruns se rassemblent en grand nombre à Brooks Falls pour attraper des saumons migratoires. Nourris par cette espèce riche en protéines, les ours bruns de Katmai sont les plus imposants au monde.

 * source: Wikipédia


Hydravion dans le brouillard

Retour sur le terrain. Après une semaine de croisière dans le sud-est alaskan, je pars avec mon groupe pour Anchorage. Le lendemain, nous embarquons dans 4 hydravions pour nous mener dans ce sanctuaire d'exception où nous attendent les ours bruns. Ce qui aurait dû être un trajet de 2h s'est transformé en survol à suspens de 4h: voyant l'épaisseur des nuages noirs sortir de la vallée dans laquelle nous nous apprêtions à entrer, notre pilote a vite été convaincu de faire demi-tour, et de retenter sa chance, avec plus de succès, une demi-heure plus tard. Assez flippant de le voir se pencher pour estimer la distance des cimes plongées dans le brouillard...



Rencontre avec les plus gros ours du monde

Entre mi-juin et fin juillet, puis en septembre, les rivières du parc se remplissent de saumons rouges, venus pondre leurs oeufs là où ils sont nés. Ils remontent le courant, échappent -ou non- aux pêcheurs humains, aux obstacles naturels, avant d'affronter les ours pêcheurs. Ici, dans le parc de Katmaï, hommes et ours se partagent la proie. Parfois même, à quelques mètres l'un de l'autre...

depuis les passerelles en bois qui mènent aux plateformes d'observation, les premières scènes sont souvent cocasses. Une co-habitation réussie, sans jamais dégénérer en un combat du plus fort (nous autres petits êtres serions vite anéantis), car la nourriture est suffisamment abondante pour satisfaire tout le monde. Ici, les ours sont énormes. Ils sont même les plus gros de toute les espèces d'ours. Pouvant atteindre pas loin de 3m en se dressant sur leurs pattes, pesant parfois près de 800kg, ils acquièrent leur poids maximal en cette fin d'automne, quand ils se sont fait leur réserve de graisse pour passer l'hiver. Pour hiVerner, et non hiBerner (leur métabolisme ralentit peu au contraire de celui d'une marmotte qui hiberne et plonge dans une sorte de léthargie) . Cette réserve de graisse, ils la tirent des saumons bien gras (omégas 3) qu'ils vont pêcher en abondance, plusieurs fois par jour durant cette période.

En général, l'hydravion se pose sur le lac Naknek, pour être tout proche du visitor center, là où une présentation de sécurité est obligatoire pour tous. Là aussi où se trouvent le camping, le lodge (composé de cabines rudimentaires mais ultra-prisées (à tel point que les places se jouent à la loterie!), le restaurant et les casiers anti-ours pour laisser la nourriture. Ensuite, une fois le briefing fait, on emprunte une passerelle qui surplombe la rivière Brooks, et ouvre le paysage aux pêcheurs, qu'ils soient humains ou ursidés. Plus loin, on rejoint la terre ferme avec un petit sentier forestier où l'on peut s'attendre à croiser l'un de ces colosses à n'importe quel moment. Quelques membres de mon groupe en ont fait l'expérience... puis, en partant sur la droite, on accède au bout de dix minutes à ces deux plateformes qui font la renommée internationale du parc. Celle du bas donne sur la rivière, tandis que celle du haut surplombe directement les célèbres chutes de Brooks. Celles que convoitent les ours pour avoir un repas servi sur un plateau en argent. C'est simple: ils se postent en haut de la petite cascade et attendent gueule ouverte que le saumon saute pour le capter. Image d'Epinal, made by National Geographic. Un moment d'émotion exceptionnel.


En restant observer plusieurs heures ces scènes de chasse, on peut clairement identifier les comportements de chaque individu au travers de leurs techniques de pêche. En voici quelques-unes amusantes, qui ne sont que le fruit de mes propres observations lors de cette journée.

 

NOTE ! Que les ursidéphiles ne viennent pas déverser leurs flots de critiques quant à de potentielles dérives ou généralités énoncées plus bas. Muchas gracias. 

La sentinelle (version flemmard)  

C'est ZE place to be, ZE poste to have. Non seulement pour les ours, car cette technique, en apparence, est assez simple: attendre que le saumon vienne sauter sous votre truffe. Mais aussi pour les hommes, car c'est la plus spectaculaire à regarder, et à prendre en photo. Combien de photographes n'ont jamais rêvé de capturer cet instant d'un centième de seconde où l'ours, gueule grande ouverte, s'apprête à capturer un saumon en plein vol...seulement, il faut tomber sur le bon cheval (pas nombreux dans cette contrée), car le taux de réussite n'est pas si élevé que cela. Les premiers clichés risquent donc de ressembler à cela...

Il faut savoir que tous les ours n'ont pas le privilège d'accès à cette place de choix, en haut de la cascade. Une hiérarchie s'observe, par la loi du plus fort. Lorsque ce dernier se présente, les précédents laissent volontiers la place en déguerpissant rapidement. En outre, tous n'ont pas la technique adéquate pour ce poste convoité. Il s'agit de faire preuve de patience, d'insistance, de réactivité et de rapidité. Car les pauvres saumons ne sont pas nombreux à avoir, eux aussi, la capacité à sauter assez haut pour atteindre leurs chasseurs. Nous verrons donc souvent des ratés de la part de gros paresseux regardant jaillir le poisson sans feindre la moindre envie de s'y coller.  Comme celui-ci !

Pas sympa cette nonchalance pour ce saumon qui se donne du mal à atteindre cette hauteur
Pas sympa cette nonchalance pour ce saumon qui se donne du mal à atteindre cette hauteur

Oui, il se mérite le saumon, et ce n'est sûrement pas en baillant longuement qu'il viendra de lui même se jeter entre tes crocs...

Puis on verra que plus le saumon se rapproche, plus le prédateur semble prendre position et confiance...la distance séparant le poisson des canines fond comme peau de chagrin. Diaporama

Aha allez on fait durer un peu le suspens, vous verrez en fin de reportage s'il a réussi à en capturer un...en attendant je vous présente le plus gros bonhomme de la région:

Lui, je l'appelle Il Monstro. Il est la terreur de ses confrères. S'il grimpe en haut de la cascade, les autres détalent pour lui laisser la place. Mais pour le moment, il a tout ce qu'il veut en bas. Un coup de pattes et ça fait un saumon en moins dans les eaux froides de la rivière Brooks.

Concernant son pelage, rien à voir avec son âge. Comme chez les humains, la couleur du pelage est indépendante de la maturité, elle est juste une caractéristique de chaque individu au sein de cette sous-espèce d'ours

Pato, on pourrait l'appeler comme ça aussi. Pas d'une grande vivacité, quoique peu sont les proies qui lui échappent. Lui doit bien peser 650-700kg. Autant dire, une belle bête quand on la retrouve face à soi.



L'autruche

Une autre technique de pêche, la plus utilisée de nos jours d'ours, demandant plus d'efforts et d'énergie mais moins de vivacité que celle de la sentinelle, c'est celle de l'autruche: l'ours patauge dans l'eau peu profonde de la rivière, plongeant sa tête au milieu des regroupements de saumons, et n'a plus qu'à choisir sa proie. Soit en l'attrapant directement dans sa truffe, soit en l'assommant au préalable d'un bon coup de patte.

 

J'ai vu des ours pêcher de la sorte, puis relâcher leur proie, trop maigrichonne, pour en choisir une plus en chair. Eux aussi font le tri sélectif. Et puis comme ça, ils prennent aussi un bon bain !


Bien sûr, cette technique est facile quand les bancs de saumons se présentent. Mais parfois, ils viennent à manquer, ou l'ours est trop paresseux pour aller les chercher plus loin: il attend alors qu'une âme seule s'égare pour lui fondre dessus. Et là, le spectacle s'anime dans un tourbillon d'éclaboussures, de splash et de plongeons, avec entre chacun d'eux l'apparition du pauvre poisson bondissant apeuré entre les pattes impatientes du chasseurs aux longues griffes.

*Pour imager cette technique, je reprends des photos de ma dernière visite en Alaska, sur l'île de Kodiak, où j'avais davantage assisté à ce mode de pêche. Ça remonte à 10ans, qualité de photo un peu moindre donc...

Et quand ils ne bondissent pas, ils se dressent sur leurs pattes arrières pour faire le guet et observer plus facilement le passage de proies autour d'eux. On retrouve ici un peu le portrait de la sentinelle, mais sans être à l'avant poste du haut de la cascade...

Revenons à Katmaï avec l'une des mes photos préférées. Cet ours rôdait autour d'un banc de saumons, prêt à bondir...

Cet ours, c'était un peu l'ours "parfait". Un port de tête admirable, de belles oreilles touffues, une musculature bien portante, mais aussi un taux de succès à la pêche remarquable. Se donnant presque en spectacle, à quelques mètres de nos yeux éberlués, on l'a souvent observé en action. Beau à voir.



L'opportuniste

Lui, il est à l'écart des chutes, il ne cherche pas de noises à ses compères. C'est en solo qu'il opère, loin des regards et des histoires de jalousie. Il veut manger avant tout, et tant qu'à faire, sans avoir à prendre de bain. Alors, il se poste sur les rochers ou en bordure de rivière et attend le passage d'une proie pour lui asséner un terrible coup. Il se doit d'être vif, mais il sait patienter. La scène est moins spectaculaire, mais plus aisée pour les photographes: moins de mouvements, et le souci du détail au niveau des entrailles du saumon.

L'opportuniste, il fait le job: il débarque, souvent sous nos pieds qui foulent la passerelle en bois; il se poste en bordure de rivière, sur la pointe des pattes pour éviter de se mouiller à outrance. Il attend. Le saumon passe. Bam! c'est terminé. Au revoir messieurs dames, je rentre dans la forêt roupiller quelques heures.

Celui-ci à gauche, c'est un vrai teddy avec ses petites oreilles blanches. Et bien il faisait partie du gang des opportunistes, un vrai de vrai.


L'apprenti

Pour connaître et développer toutes ces techniques, il faut bien sûr les avoir vues se réaliser. Le rôle des parents, chez l'ours comme chez l'homme, c'est cette éducation, qui dévoile un savoir faire. Une passation de connaissance, de culture, de tradition, que j'ai eu la chance d'observer cet après-midi de septembre. Une jeune mère bien portante s'est présentée en aval de la rivière avec ses deux petits, nés probablement en début d'année. S'ils profitaient parfois du butin que maman ours attrapait, ils prenaient aussi un malin plaisir à tenter leur chance...

D'abord on regarde et on prend note...

...et ensuite on reproduit !

et on se régale ensemble !

L'apprenti n'est pas toujours en réussite dans sa pêche. Parfois même, il se trompe de proie, et mord quelque chose qui semble beaucoup plus dur qu'un saumon...

Heureusement il comprendra très vite en lisant bien les panneaux que l'endroit est très fréquenté par les saumons et qu'il ferait bien mieux pour sa santé de s'aventurer un peu plus loin dans la rivière pour trouver meilleures victuailles qu'un morceau de bois...

et quand il trouve...ça fait mal !

En tout cas, les apprentis mènent leur vie, s'émancipent au fil du temps, lâchent les baskets de maman ourse pour aller se confronter au monde des adultes. Pas de meilleure école que celle de l'indépendance. Pendant ce temps, les grands se chamaillent les meilleurs spots autour de la cascade...

et il faut dire qu'ils ramènent de belles proies...


La sentinelle (version winner)

Celui-là, vous l'aurez compris, il est fort. Fort car il réussit de jolies prises tout en contentant les photographes, objectif tourné vers la cascade, index en position pour déclencher la photo. Pardon, LA photo. Celle dont ils ont rêvé toutes les nuits précédentes, se préparant psychologiquement pour ne pas rater leur coup. L'oeil dans le viseur, le doigt sur l'obturateur, la respiration coupée... jusqu'à ce moment unique, celui qui voit la mâchoire du plantigrade se refermer brutalement sur le saumon en plein vol, celui qui laisse échapper une myriade de clics et des sourires jusqu'aux oreilles. 

La sentinelle a enfin réussi son coup. Le poisson est vaincu.

C'est sur cette belle prise que nous remercions les dieux de la pêche de nous avoir permis d'assister à cette scène animalière de haute volée (c'est le cas le dire). Laissons maintenant nos amis ours se délecter tranquillement de leurs victuailles afin de nous envoler vers Anchorage...

Petite vidéo des ces observations du jour... merci à Suzanne pour son partage


À la verticale...mais en hydravion, cette fois !

De retour de Katmaï, indiqué en bas à gauche sur la carte, nous survolons la côte qui borde le golfe de Cook qui termine sa route à Anchorage. Bras de rivières formant d'innombrables tentacules, glaciers se déversant au fond de vallées spectaculaires, forêts de conifères jaunis par la saison, lacs aux couleurs laiteuses... rien que le survol vaudra le coût de l'excursion.


Anchorage et ses gratte-ciel se rapprochent, mettant un terme à cette visite mémorable au royaume de l'ours brun. Une seule envie se dessine déjà dans ma tête: y retourner plusieurs jours en version camping, pour s'immerger davantage dans l'ambiance du parc, avec les ours qui rôdent toujours autour du lodge, de la plage, du camping justement, et la possibilité d'accéder à la plateforme à l'heure où la grande partie du public est repartie vers la grande ville. 

Pour l'heure, ces images sont gravées sérieusement dans ma tête, et ne sortiront pas de mon disque dur de si tôt, à part pour se coucher sur le papier...

Pour la suite et fin de ce périple Alaskan, en direction du parc national de Denali, c'est par ici